La démarche de l’ANOC, dans le cadre du projet ASAP-M, porterait probablement ses fruits technico-économiques, déjà perceptibles à l’échelle des ménages. Mais ce qui ressort au premier plan, c’est l’expression d’une reconquête de liberté d’action. Les jeunes hommes et femmes concernés par cette action expriment une reprise de souveraineté sur leur mobilité et leur statut dans les localités où ils évoluent. Les pionniers de cette expérience sont en train d’explorer des voies d’innovation et des choix alternatifs et non conventionnels. Le projet ASAP-M, en s’engageant au côté de l’ANOC, se doit de partager l’expérience et de la disséminer encore davantage.
« Nous avons effectué des traitements, chose que nous ne faisions pas auparavant pour les chèvres. Et nous utilisons le fourrage, que nous n’avions jamais utilisé jusque-là, juste des arbustes que nous découpions et ramenions. Les chèvres, nous ne leur donnions pas de paille, ils ne mangeaient que ça. Mais maintenant, nous leur donnons du fourrage, des médicaments, de la paille… Il y a de l’amélioration dans tous les domaines ; nous avons commencé à vendre du lait, dont on ne tirait aucun profit auparavant. On ne le vendait absolument pas ; 5 litres, des fois 4 litres par jour (prix du litre à 6,50 dh), ça aide beaucoup, c’est 975 dh par mois. »
« J’aurais pu faire le choix des voisines et cultiver une parcelle de cannabis, mais je ne veux pas, je préfère mes chèvres. Elles (celles qui pratiquent en association la culture du cannabis) ont toujours peur. Il y a même celles qui n’arrivent pas à ouvrir la porte de leur maison quand l’agent de l’office d’électricité vient pour les factures…. Moi je voyage comme je veux, regardez, là on s’est bien retrouvé au souk, je n’étais pas cachée. » Éleveuse et mère de famille de la région de Chefchaouen.
Les efforts de la FIMAP dans la région du Nord ont produit des impacts et des sentiments similaires chez les jeunes et les femmes de la région.
« Par le passé, l’apiculteur n’emmenait ni son fils et encore moins sa fille pour lui apprendre le métier, lui-même n’a pas de quoi leur apprendre. Maintenant, avec les formations, les visites et les échanges, les jeunes sont motivés pour apprendre le métier. Nous sommes dans une zone de montagne, la grande majorité de nos jeunes n’ont rien à faire. L’apiculture était réservée aux gens âgés de 60 ans et plus. Maintenant, 80% ou plus des apiculteurs sont jeunes. La modernisation des pratiques par la formation et l’appui du technicien ont fait que la fédération compte maintenant 21 coopératives de femmes. » Président de la fédération Nord des apiculteurs.
Le tapis Taznakht jouit d’une notoriété qui dépasse les frontières du pays, il a une haute valeur économique mais qui ne trouve pas automatiquement son corollaire dans le développement local, les retours financiers étant très limités. Le choix de l’ANOC et du projet ASAP-M d’appuyer la structuration d’un groupement d’éleveurs autour de la race Siroua ouvre des perspectives très prometteuses pour la relance du tapis Taznakht.
Les premières bases d’un long processus de réhabilitation se font déjà sentir. Le groupement est fonctionnel et la mobilisation autour du tapis semble s’intensifier pour déboucher vers une réelle relance économique de la région. L’effort technique (prophylaxie, sélection, formation) et logistique (aménagement d’un centre de collecte de laine) stimule fortement les leaders locaux qui se sont positionnés comme acteurs de développement plutôt que comme bénéficiaires de projets, de programmes gouvernementaux ou de coopérations.
« On a un local de collecte de laine, on n’aura pas de problèmes de commercialisation maintenant que l’on a un grand projet de tapis à la commune d’Iznaguen… La qualité du tapis commence par l’éleveur, par le parcours, quand leur technicité s’améliore, c’est le fil du tapis qui sera meilleur. Il y a certainement beaucoup de problèmes liés au marché, aux intermédiaires, mais notre projet a commencé à construire une base solide, celle d’un bon troupeau et d’un groupement de 137 éleveurs. L’ANOC est l’instrument fort pour cela, car l’État peut bien aider une année mais on ne sait pas comment sera l’année d’après. Ce qui est donné gratuitement est de la charité, le groupement peut très bien commencer à constituer son fond de roulement. C’est la même chose pour les points d’eau, l’éleveur doit prendre conscience que c’est à lui de se prendre en charge, avec ce projet nous avons un noyau d’éleveurs qui ont conscience de cette obligation. »
Président du groupement ANOC Siroua.
Au-delà de la dimension écologique et économique des PAM, la SOMAPAM a su accompagner, par l’appui du projet ASAP-M, des dynamiques de développement local fort intéressantes. Il me paraît utile de restituer ces témoignages qui décrivent clairement et de façon très spontanée tout l’effort d’inclusion au développement qui est consenti par les coopératives dans une lutte très honorable contre l’exclusion et la vulnérabilité.
À Oulmès comme à Er Rich, des acteurs et actrices locaux se lancent dans une voie de préservation et de valorisation de la biodiversité tout en ouvrant des perspectives économiques prometteuses. Les savoir-faire locaux sont appuyés par des formations et une assistance technique pour installer des pépinières de PAM et des unités modestes mais opérationnelles de production de tisanes.
La force de ces initiatives locales vient, à notre sens, de l’engagement des leaders pour le développement de leurs localités et de leurs capacités à saisir les opportunités des projets et activer les synergies requises pour aller au-delà des interventions conventionnelles, où le projet est perçu exclusivement comme manne financière. La notion de réseau, de compétence et de durabilité revient souvent dans les propos des femmes et des hommes que nous avons interviewés.
« Cette idée de pépinière est géniale, parce que je commençais à faire des recherches pour la matière première. On allait avoir besoin de tonnes d’herbes qui devraient être distillées, donc je me posais la question: comment j’allais faire pour produire cette quantité d’herbe ? Et là vous êtes arrivés à point nommé pour cette pépinière. Parce que cette pépinière, de mon point de vue personnel et de celui de tout le comité, c’est développer des plantes qu’on va remettre par la suite aux adhérentes, elles vont les faire pousser chez elles, et elles vont nous rendre leur récolte tous les ans. " Présidente de la coopérative féminine à Oulmès.
Les trois interprofessions – la FIMABIO, la FIMAP et l’ANPVR –, tout en produisant les mêmes dynamiques décrites plus haut, ont les particularités d’avoir interagi avec le projet plus autour d’activités professionnalisantes :
« … Eh bien, Swisscontact… Pour moi… Comme on était vraiment dans un blocage total, c’est-à-dire qu’à l’arrivée de Swisscontact, on était avec l’ancien… Il se trouve que malheureusement, avec l’ancien il y avait des problèmes, il faut aussi dire qu’à l’AMABIO, on broyait du vide. Actuellement, c’est comme si nous avions été un peu remis sur les rails. Bon, il faut encore bricoler la locomotive, l’huiler, serrer ceci, serrer cela… Il nous reste encore quelques ajustements à faire, mais c’est déjà pas mal, la locomotive est sur les rails, elle était en dehors, complètement… » Membre du bureau FIMABIO.